Henri Houben
États-Unis : de 1979 à 2005, les revenus réels ont été multipliés par 2,6 % pour les plus riches, alors que les revenus de l’immense majorité n’ont connu aucune croissance. (Photo Archives)
« C’est la faute à la finance ». « Non, aux subprimes, ces prêts accordés à des gens qui ne pouvaient rembourser ». « C’est un mauvais moment à passer ». « C’est un problème de confiance ». Que n’entend-on de lieux communs ou de banalités sur cette crise.
Les analyses en profondeur sont réservées aux spécialistes ! Ceux-ci affirment que nous vivons la plus grave récession depuis celle des années 1930. Et ils ont raison. Mais ils ne s’accordent pas toujours sur les motifs véritables de cette ampleur.
En effet, pour y comprendre quelque chose, il faut remonter aux années 1970. À cette époque sévit déjà une crise, déclenchée mais non causée par les hausses des prix du baril brut. Les dirigeants américains vont prendre des mesures qui auront pour effet de booster la consommation des ménages. Entre 1981 et 2002, celle-ci passe de 62 % à plus de 70 % du Produit intérieur brut, PIB, et se maintient depuis lors à ce niveau. À titre de comparaison, la consommation privée des pays européens et du Japon a fort peu augmenté, parfois même diminué et s’est établie à moins de 57% du PIB.
En 25 ans, les plus riches ont gagné 2,6 fois plus
Durant quelque 25 ans, la consommation des ménages américains a été donc le moteur de l’économie mondiale. Celle qui a permis aux États-Unis d’avoir des performances de croissance supérieures à celle des autres nations « avancées ». Mais qui a tiré également les exportations de nombreux pays émergents, en Amérique latine ou en Asie de l’Est. Or, ce moteur est en panne et rien ne viendra à court terme remplacer cette formidable machine.
Cette consommation est d’ailleurs très inégalement répartie aux États-Unis. De 1979 à 2005, les revenus réels ont été multipliés par 2,6% pour les plus riches, alors que les revenus de l’immense majorité n’ont connu aucune croissance.
En même temps, la consommation est poussée par l’endettement. La dette des ménages équivaut à 100 % du PIB américain fin 2007. En 1981, cette proportion ne se montait qu’à 50 %. Rappelons que lors de la crise des années 1930 l’endettement des particuliers, qui a été l’une des causes de l’ampleur de la catastrophe, n’était égal qu’à 40 % du PIB. Une telle dette signifie que les ménages américains ont déjà dépensé le PIB à produire de l’année prochaine.
Certes, il n’y a pas de critère strict établissant un montant maximum d’endettement. À la limite, si les créanciers sont prêts à faire confiance aux emprunteurs, cela peut grimper très haut. Mais il faut des garanties. Or, jusqu’en 2000, celles-ci étaient composées surtout d’actifs financiers, c’est-à-dire de titres boursiers détenus directement ou indirectement à travers des fonds de pension ou autres fonds d’investissement. Et ceux-ci avaient crû à une vitesse beaucoup plus grande que le PIB.
Les interventions actuelles de l’État : du sparadrap sur des arrêts cardiaques à répétition
Mais, et c’est là qu’on en vient à la situation actuelle, en mars 2000, la Bourse des valeurs technologiques, le NASDAQ (qui cote des sociétés comme eBay, Microsoft, Dell, Yahoo ! ou Google), est victime d’un krach qui s’étend progressivement aux autres places financières. Les autorités monétaires se précipitent au chevet du malade et Alan Greenspan, président de la Federal Reserve (la banque centrale américaine) décide de baisser les taux directeurs jusqu’à 1 %. Or, ces taux déterminent les autres taux d’intérêt pratiqués notamment par les banques. À un pour-cent, le prêt est très bon marché. Il n’en faut pas davantage aux établissements de crédit pour les encourager et inciter les ménages à acheter des produits immobiliers. Avec comme conséquence : une bulle qui éclate depuis la fin 2006. Baisse des actifs immobiliers, plongeon des titres financiers, il n’y a plus de garanties pour l’endettement et donc plus de source à la hausse de la consommation américaine.
La crise est sans aucun doute financière. Mais elle ne peut être résolue facilement, parce qu’elle révèle un problème plus profond qui est celui d’un développement réalisé au profit d’une poignée d’individus, détenteurs de capitaux, qui ont bénéficié d’un endettement presque sans bornes. Dès lors, les interventions actuelles de l’État, servant à poser du sparadrap sur des arrêts cardiaques à répétition, peinent à convaincre.
Néanmoins, malgré son concert de désolation qui arrivent, avec restructurations, faillites, licenciements massifs, la récession peut avoir aussi un aspect salutaire : celui de réfléchir à un autre modèle de développement, à une autre société complètement différente de ce capitalisme qui pense rentabilité et compétitivité avant de songer à satisfaire les besoins élémentaires des populations.
Ce qu’en disait Karl Marx
« La baisse des salaires et donc la limitation de la consommation de la population se heurte à la tendance de la capacité de production capitaliste à toujours grandir. C’est la véritable raison de la crise de surproduction. (...) Finalement il se crée non seulement une surproduction mais aussi une suraccumulation de capital. » (Karl Marx en 1867)
« Le Capital a horreur de l’absence de profit. Quand il flaire un bénéfice raisonnable, le Capital devient hardi. A 20 %, il devient enthousiaste. A 50 %, il est téméraire; à 100 %, il foule aux pieds toutes les lois humaines et à 300 %, il ne recule devant aucun crime. » (P.J. Dunning, cité par Karl Marx, Le Capital)
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